Entretient avec le Cheikh Khaled Bentounes
Un film de Manoël Pénicaud réalisé dans le cadre de l'exposition "Lieux saints partagés" présentée au Musée National de l'histoire de l'immigration, à Paris, du 24 octobre 2017 au 21 janvier 2018
Khaled Bentounes est le guide spirituel de la confrérie Alâwiyya, née en Algérie mais très présente en France et en Europe.
Pour cet adepte du soufisme (branche mystique de l'islam), l'héritage de l'Emir Abd el-Kader demeure fondamental de nos jours. Au cours de cet entretien, il livre son regard sur les lieux saints partagés, sur l'hospitalité religieuse et sur son projet d'établissement d'une Journée Internationale du Vivre Ensemble qu'il a fait déposer à l'ONU.
Quand Napoléon III l'a reçu aux Tuileries, à Paris, l'émir Abd-el-Kader a demandé : "Y a-t-il un endroit où je puisse prier ?" "On n'a pas de mosquées à Paris... mais il y a une église, celle de la Madeleine, qui n'est pas loin." Il a dit : "Je veux y aller !" Et ça a été le premier musulman qui, en France, a prié à l'intérieur d'une église chrétienne. C'est quand même pas banal !
Donc il y a dans tout cela un message pour nous aujourd'hui, quand on sait dans quelle situation on est ! On a reculé, quand même, par rapport à ces êtres d'exception qui sont venus nous apporter une clé, une clé de lecture, un moyen de tisser les liens entre nous et voir autrement le rapport à l'autre, à cette altérité qui fait partie de nous-mêmes !
Et la religion ou la Religion, comme on veut... ce n'est pas là, le principal. Le principal c'est qu'elle nous invite, elle nous prépare à construire quelque chose de positif, à la fois pour nous, mais aussi pour la société et l'environnement dans lequel on vit. C'est ça, le capital humain; le génie humain, c'est qu'est-ce qu'on laisse ? Qu'est-ce qu'on laisse aux autres ?
Pour les soufis, l'hospitalité est un devoir sacré. Il en va de même pour l'accueil de "l'autre religieux" qui doit être bien traité, à l'image d'Abraham recevant trois étrangers, considérés comme des anges dans le Coran et dans la Bible.
L'hôte est sacré. Qu'il soit de votre peuple, qu'il soit de votre religion, qu'il soit athée... Et ça, nous l'appliquons jusqu'à aujourd'hui dans toutes les zaouïas, là où il y a des soufis. Vous ne pouvez pas dire à quelqu'un : "Vous n'êtes pas musulman, vous ne pouvez pas entrer !" C'est impossible ! La demeure de Dieu est ouverte à toutes ses créatures.
Pour le cheikh Bentounes, les sanctuaires sont des lieux ouverte, des "oasis" à préserver et à protéger, où chacun peut venir se ressourcer.
Le cheikh Hajj 'Adda, mon grand-père disait toujours : "Ne demandez pas à quelqu'un quelle est sa nationalité, sa religion. Demandez-lui quelle vérité il cherche." C'est tout ! Vous, vous êtes là... Quelle vérité vous cherchez ? C'est à vous de la trouver ! Ce sont des lieux thérapeutiques, qui permettent aux hommes de souffler, et de dire : "Tiens, il y a une fenêtre quelque part, sur ce ciel sombre, souvent, qu'est la vie, de pouvoir voir un rayon, une relation avec l'ineffable, avec l'éternité, avec quelque chose qui ne change pas, qui n'est ni du passé, ni du présent, ni du futur, elle est là, c'est tout !" Et l'on rend grâce à ces maîtres qui ont pu géographiquement matérialiser cela, cette aide à l'autre. Même après leur mort, vous entrez dans ces lieux et vous ressentez la paix. Pourquoi ? On ne sait pas, mais il y a une odeur de paix. Et personne ne vous dit : "Priez comme ceci, ou vers le Sud ou vers le Nord, ou vers l'Est, ou l'Ouest... Priez !" C'est à vous d'être ce que vous êtes. Donc, ce sont des oasis que nous devons protéger.
À travers l'ONG AISA qu'il préside, le cheikh Bentounes promeut l'établissement par l'ONU d'une Journée Internationale du Vivre Ensemble.
Pourquoi on voudrait lancer cette journée ? Et rattacher le "Vivre Ensemble" au "faire ensemble" ? Parce que nous sommes condamnés à vivre ensemble, qu'on le veuille ou pas. Mais pourquoi rester sur cette idée de vivre ensemble par contrainte, ou par nécessité, au lieu de choisir un vivre ensemble pour un projet ensemble ?
"La rose et le chardon"
Et si cette humanité n'est pas accompagnée par une réflexion profonde, une sagesse, à aller chercher dans ce terroir, dans cet héritage des sagesses qui lui permettent de retravailler sur un système de solidarité, un système qui puisse élever la conscience de l'homme, de cet individualisme, de cet égoïsme, de ce chacun pour soi, et d'amener une philosophie humaniste, qui réconcilierait les humains entre eux, et les familles religieuses dans leur diversité, sans pour autant créer une nouvelle religion ! Mais au contraire, garder cette diversité, car ces diversités sont des miroirs, ce sont des couleurs différentes ! C'est comme dans la nature, si on n'avait que des roses, on n'apprécierait pas ! Mais le chardon a sa place aussi...
Coexistences en Europe et en Méditerranée
Du 24 octobre 2017 au 21 janvier 2018 à Paris